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CHAPITRE II ; « Et si je te disais que je m'inquiète juste pour toi ? »

Lehane était debout depuis minuit moins le quart et elle était fatiguée, il fallait l'avouer. Elle baillait pour la troisième fois en moins de deux minutes trente alors qu'elle passait la porte du Centre et se retrouvait à l'extérieur, à deux pas du petit jardin de la résidence. Après une nuit de garde mouvementée et un rendez-vous manqué avec sa mère, la jeune doctoresse avait filé directement dans l'école de Douglas Evans, ne prenant que quelques minutes pour s'arrêter à un Starbuck Coffee pour y prendre quatre gobelets taille maxi d'un excellent café qu'elle appréciait par-dessus tout. Si elle n'avait pas eu l'intention dans acheter quatre, à l'origine, elle avait dû revoir ces plans quand elle avait réalisé qu'elle ne parviendrait jamais à se contenter d'un seul café. Elle avait donc multiplié les deux originels - un pour elle et un pour la personne qu'elle comptait voir au Centre - en quatre - dont un de secours -. Puis elle avait pris la route une fois sa commande payée.
Une fois au Centre, la jeune femme avait pris la direction des chambres sans hésiter, étant persuadée qu'en cette heure matinale, elle ne trouverait l'adolescente convoité que dans son lit. Et elle ne s'y était pas trompé la bougresse puisqu'elle trouva la Spéciale exactement là où elle l'avait songé, même si elle n'était peut-être pas dans la position qu'elle avait imaginée. Difficile aussi de penser réellement à trouver une jeune fille complètement en travers de son lit, les pieds et la tête pendant dans le vide, ensaucissonnée dans sa couverture et dormant à point fermé alors que le réveil diffusait à tue-tête un tube rock à vous en réveiller un mort.


Et moi qui croyait que le sommeil de plomb des adolescents n'était qu'un mythe destiné à expliquer leur tête au réveil, avait songé la jeune femme en essayant de visualiser son propre sommeil lorsqu'elle était tout jeune pubère.

Lehane s'était donc chargée elle-même de réveiller la jeune fille d'une manière que celle-ci avait considéré comme brutale, avant de lui offrir de bon coeur un café qu'elles avaient pris en discutant joyeusement. Lehane avait sauvé la jeune fille d'une mort certaine quelques années plus tôt et l'avait conduite au Centre où elle l'avait convaincu de faire confiance à Douglas et elle avait toujours tenu sa promesse depuis d'être toujours là pour elle, de veiller à ce qu'elle aille bien - même si le personnel du Centre le faisait très bien pour elle - et de lui rendre visite chaque fois qu'elle le pouvait. Elle s'était attachée à cette enfant devenue adolescente au moins autant qu'elle avait eu à coeur de la sauver de la rue et elle refusait de faillir à ces paroles, même les plus anodines. La jeune fille avait trop confiance en elle pour qu'elle la trahisse. D'ailleurs, pendant un moment, la jeune fille n'avait eu confiance qu'en l'humaine.

Trois heures après ce réveil en fanfare, Lehane avait dû se résoudre à laisser l'adolescente tranquille. Elle avait sérieusement besoin de quelques heures de sommeil et l'adolescente devait retourner à sa vie de Spéciale de son âge. C'est donc lentement que la doctoresse avait quitté la chambre de sa jeune amie pour prendre l'escalier et quitter les lieux. En route, elle avait croisé deux trois personnes qu'elle connaissait et les avait salué poliment avant de reprendre sa route. Mais maintenant qu'elle était sorti du bâtiment, elle hésitait à rentrer au plus vite ou à aller marcher un petit peu dans le jardin. La matinée était belle, l'air était vivifiant et l'appel d'un moment de calme à l'ombre de ce bâtiment sécurisant était très tentant. Elle craqua finalement alors qu'elle jetait son quatrième gobelet de café - vide depuis plus de deux heures - dans une poubelle à proximité et pris la direction du carré d'herbe le plus proche. Alors qu'elle s'asseyait sur un banc, son regard fut attiré par un mouvement près des arbres, à l'abri du regard des fenêtres du Centre.
La brunette ne mit pas longtemps à mettre un nom sur le visage qu'elle reconnue sans mal et sourit légèrement.


« Je me doute que tu n'habites pas de ce côté de la ville. », s'exclama poliment l'humaine à l'attention de Disturbia Jones. « C'est une belle journée n'est-ce pas ? »

Elle sourit pour elle-même. Bien sûr qu'elle savait que la jeune fille ne vivait pas par ici. Elle connaissait son nom, une partie de son histoire, son adresse et l'identité de son colocataire . Elle savait parfaitement que Disturbia n'avait rien à faire ici en temps normale et elle se doutait que la présence de l'adolescente devait avoir un lien avec elle.

Mes mains reposent sur mes genoux. Je suis assise sur le lit. Mes pieds naviguent dans le vide. Je fixe les reflets des lampadaires. Je suis en pleine méditation. Des frissons parcourent mes cuisses, puis mes mains. Je suis restée dans cette position plus d’une heure : mon corps ne le supporte plus. Je me relève lentement. Les articulations de mon dos craquent. Je m’approche de la fenêtre, soupire un instant et décide de monter sur le toit de l’immeuble. Ma réflexion n’en est qu’à ses prémices. Je monte lentement les escaliers, ne me tenant même pas à la rambarde : bien trop sale pour la toucher, ne serais-ce que pour l’effleurer. J’ouvre la porte, ma main recouverte par la manche de mon sweat. Le froid m’enveloppe alors. S’imprègne dans toutes les parties connues et inconnues de mon corps. Je grince des dents un instant avant de me poser près des remparts, là où un homme s’est suicidé hier soir. J’y ai réfléchi longuement. A son geste j’entends. Je ne le connaissais pas, mais il a su toucher mon cœur.

Je lui en ai voulu. Sans savoir qui il était, je l’ai maudit. C’était un lâche de la pire espèce. Mais ce que je ne savais pas c’était qu’il avait en fait été tué par un traqueur. J’étais décidément bien trop naïve. Mon utopie n’en était pas une : je frôlais le danger de jour en jour. Je me mis à tâtonner mon pantalon, à la recherche d’une poche et puis de mon portable. Je composais le numéro d’Ewan : j’avais envie d’entendre sa voix, mais mon pouce refusa d’appuyer sur le bouton « appel ». Je refermais alors le clapet et le reposais dans ma poche. Je fixais les alentours, trouvais une plante. Ca faisait longtemps que je n’avais pas manipuler la faune. Ca ne me manquait pas spécialement. Mais je sentais au plus profond de moi que j’oubliais une part importante de ma personnalité. En n’utilisant pas mon don, et en restant dans l’ombre continuellement.

Je ne me posais pas ce genre de question d’habitude. Il arrivait que Midnight et moi nous disputions au sujet de « son hostilité ». Mais c’était assez rare. J’acceptais son choix et il faisait de même avec moi. Pourtant, depuis une certaine conversation avec cette doctoresse… J’étais mise dans un doute certain, inconscient et sordide. Je voulais en savoir plus, m’imbriquer dans le quotidien de millier de résistants. De personnes qui n’étaient pas réellement lâches : qui contrôlaient leur destiné ainsi que celle de plusieurs personnes. Avais-je le droit d’être cette personne ? Devais-je rester éternellement dans son ombre ? La plante, bien que loin de moi, effleura mes doigts puis mon visage. Je tentais de me résonner, de me rassurer à l’aide de caresse d’une personne invisible, inexistante. La sécurité : voilà à quoi je pensais en général. Etais-ce une bonne chose de ne penser qu’à mon bonheur ? Oh, bien entendu il y avait Midnight. Je pensais à ses plaisirs avant toute chose, avant mes désirs à moi. Mais étais-ce suffisant ? Je grognais d’énervement.

J’avais réussi à me foutre en rogne : pour la première fois, je montrais un signe de non-respect quant à mon mode de vie. C’était une chose plaisante, agréable, et pourtant irrationnelle. Je soupirais, un brin désespérée. Les caresses s’étaient arrêtées. Je fixais de nouveau la petite plante : morte. Je l’avais tué par un seul sentiment néfaste parcourant mon esprit. Je ne me contrôlais pas vraiment. Peut-être l’avais-je désiré ? Je n’en étais pas sûr. Je me relevais, prise d’une soudaine envie d’être quelqu’un d’autre tout en étant moi. Je rêvais à une nouvelle vie. Je rejoignais l’appartement prise de frénésie, un sourire scotché sur mes frêles lèvres. Un sentiment nouveau m’habitait. Me faisait espérer que peut-être, peut-être un jour… J’atteignais la salle d’eau, me préparais dans une vitesse folle. J’avais hâte d’arriver à bon port. Je finissais derrière la porte de l’appartement. J’avais fermé à double tours, mais un problème se posait. Quelle était l’adresse de ce centre, déjà ? Je doutais qu’il se trouve dans l’annuaire. Ah, c’était bon. J’étais partie. Lancée sur le chemin d’une peut-être nouvelle destinée. La montée sera lente : mais Rome ne s’était pas construite en un jour. J’étais prête.

Je passais parmi les buissons, les arbres, les forêts : la vie végétale cédait le passage à sa reine, à sa manipulatrice. J’atteignais le bord d’une route, traversais. J’allais attendre sur ce petit banc, tout près du centre. Mais j’étais prise d’une peur implacable : et s’ils me faisaient du mal ? Et s’ils retrouvaient Midnight ? Je reculais d’un pas avant de me décider à me cacher derrière les buissons : je l’entendrais cette fameuse « black ». Et elle ne tarda pas : malgré l’heure. Je fis bouger les végétaux par mon excitation avancée. Elle me repéra facilement. Je ne me contrôlais vraiment pas. Je me relevais, avançais vers elle. Un franc sourire accaparait mon visage : j’en étais franchement étonnée.

« Très belle journée. Un peu fraîche, sans doute. Il va pleuvoir. »

Je n’avais pas regardé la météo, ni autre forme de prévision. Les plantes me le disaient par leur comportement. Elles ne gigotaient pas : seul le vent avait se pouvoir sur elle. Mais je le savais, impossible d’expliquer pourquoi. Je m’avançais un peu plus vers elle. Décidais de m’asseoir sur ce petit banc, confortable.

« Je suis désolée d’être partie… Aussi rapidement la dernière fois. J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit. J’aimerai en savoir plus. Sur vos motivations, avant tout. »

C’était là, l’une de mes principales motivations à moi. Savoir le pourquoi du comment son intérêt pour ma personne. Je voulais être sûr qu’elle ne connaissait pas Midnight : même si je savais la réponse. Je ne voulais pas qu’elle lui fasse du mal. Je montrerai les crocs, sinon.

« La fatigue, j'avais appris à vivre avec. C'était devenu comme la peine, la douleur et le manque, des choses tellement présentes dans ma vie que ça me clouait parfois sur place. Pourtant, personne ne le savait, personne ne le voyait... personne ne cherchait à le voir. Et j'étais une bonne actrice aussi. Vivre avec mes secrets, me confier et jouer les jeunes femmes parfaites et sans problèmes alors même que tout en moi s'écroulait. C'était une chose que je faisais depuis toute petite. Depuis que j'avais cinq ans. A cet âge de l'innocence, je mentais déjà à toute personne extérieure à ma famille et j'avais appris à vivre avec mes secrets les plus douloureux. Aujourd'hui, les choses n'avaient pas beaucoup changé, sauf que celui qui était mon seul confident par le passé n'était plus et était la cause principale de mes peines. Mais ça, encore une fois, personne ne le voyait, très peu le savait. Au Centre, certains connaissaient mon histoire, mais ils ignoraient combien cela m'affectait encore et toujours. Ils ne voyaient que ce que je leur montrais. La joie d'être en vie et de pouvoir les défendre, la volonté farouche d'être de leur côté... C'était ça la dominante de ma vie, celle qui brillait tout autour de moi et qui faisait que même un télépathe pouvait parfois être aveugle de ma douleur. J'avais cette volonté féroce, vivace et désespérée d'être de leur côté, de leur montrer le meilleur de l'humanité et de les accueillir à bras ouvert. J'étais l'une des leurs, sans en être réellement... »

La jeune fille était venue d'elle-même vers elle et Lehane ne parvint pas vraiment à cacher sa surprise et sa joie de la voir s'asseoir à son côté. Elle n'aimait pas l'idée d'avoir échoué dès la première conversation et détestait l'idée qu'elle avait peut-être braqué la jeune adolescente contre elle. Le fait même que celle-ci accepte de s'approcher de la sorte prouvait qu'il n'en était rien et qu'elle avait encore toutes ses chances. Une seconde chance de lui venir en aide. Bon d'accord, Lehane avait conscience que la jeune Disturbia n'avait - actuellement - pas vraiment besoin d'une aide extérieure, mais Lehane était tout de même inquiète. Elle vivait avec un Hostile et elle pouvait à tout moment se tourner vers eux et tourner le dos à l'humanité et à ce que la jeune femme avait toujours considéré comme le bien.
Si elle voulait vraiment être honnête, elle ne pouvait pas dire si le Centre était vraiment ce qu'elle considérait comme le bon côté de la force, mais elle savait que leurs actions étaient juste. Et même si elle avait une totale confiance en Douglas pour prendre soin de ces pairs, elle n'oubliait pas que tous n'avaient pas forcément cette idée. Et c'est pourquoi elle continuait à veiller sur ceux qu'elle avait confié à l'école, quand bien même ils étaient heureux et ils se sentaient bien et à leur place.

Disturbia la sortit de ses pensées en lui accordant que c'était une belle journée et en ajoutant qu'il allait pleuvoir. La brune se demanda pendant une seconde si la jeune femme le savait de source sûr. Une source qu'elle-même n'était pas à même de consulter. Elle aurait voulu lui demander en quoi consistait exactement ces pouvoirs, mais elle n'osait pas. Non, elle ne voulait pas se montrer pressante plutôt. Elle pensait vraiment que si elle cherchait à en savoir trop et trop vite, elle ferait à nouveau fuir la jeune fille. Elle devait avancer prudemment, c'était sa seule chance.


« Tu n'as pas à t'excuser », assura Lehane. « Ça serait plutôt à moi de le faire. Tu dois me prendre pour une vieille folle d'humaine. »

Elle souriait et c'était surtout pour cacher le fait qu'elle allait devoir s'armer de courage pour ne pas laisser transparaître les déferlantes douloureuses de son coeur. La jeune fille voulait qu'elle lui parle d'elle. Qu'elle lui donne ces motivations et c'était toujours à ce moment-là que Lehane se sentait le plus faible. Elle avait beau être une humaine sans pouvoirs et se retrouver souvent entre deux feux dans des combats de Spéciaux, elle ne se sentait jamais vraiment faible dans ces moments-là. Elle était médecin et elle savait gérer les coups de stress. Gérer ses pertes et ses douleurs était plus compliqué et en parler bien plus dangereux... pour son cœur.


« Tu veux savoir quoi exactement ? », demanda-t-elle d'une voix douce avec un sourire. « Si j'ai une idée derrière la tête ? Si je peux vraiment aimer passer du temps avec les gens qui ont des pouvoirs ou si je fais ça pour vous nuire au final ? Je ne suis... qu'humaine, oui ! Mais honnêtement, je ne vois pas en quoi cela me rendrait meilleure ou pire que toi ou tes amis Spéciaux. Ca n'est pas la capacité ou non de... je sais pas moi... voler ou lire dans les pensées qui va déterminer si j'apprécie une personne ou non. Et j'aimerais que tout le monde réalise qu'un don particulier n'est pas forcément une chose qui doit nous pousser à nous affronter. Trop d'innocents... Trop d'innocents y ont laissé la vie. »

Elle baissa les yeux et avala durement sa salive alors que le visage de son cher Jordan s'insinuait dans son esprit. Trop d'innocents, oui, c'était exactement ça.